ENQUÊTE D’ASSURANCE : LE RECOURS À UN DÉTECTIVE PRIVÉ VALIDÉ PAR LA CEDH.

 

Dans sa décision du 17 janvier 2019, la Cour européenne des droits de l’homme - CEDH - s’est prononcée sur la licéité d’une enquête d’assurance par un détective privé et sur la recevabilité de son rapport d’enquête devant la justice.

 

 

Cette décision confirme une nouvelle fois que le recours à un détective privé est un moyen de preuve licite à partir du moment où les investigations réalisées sont légitimes, loyales et proportionnées au but recherché.

 

En l’espèce, dans le cadre d’une fraude à l’assurance, un assuré attaque sa compagnie d’assurance sur le fondement de l’atteinte à sa vie privée, article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.

En effet, l’assureur a eu recours à un cabinet de détectives privés afin de collecter les preuves de la mauvaise foi de son assuré.

 

CEDH REQUÊTE N° 17331/11 : RAPPEL DES FAITS.

 

Le 28 octobre 2001, Elvir M., passager d’un véhicule de tourisme en Suisse, est victime d’un accident de la route qui lui cause, selon lui, de sérieuses lésions corporelles.

Ainsi, il fait part de douleurs au bras gauche accompagnées de crises d’épilepsie régulières. 

Pour obtenir réparation de son dommage ménager, il engage deux procédures judiciaires successives en Suisse à l’encontre des deux conducteurs du véhicule et de leurs compagnies d’assurance.

Au total, il réclame la somme de 1 777 353 euros eu égard à son préjudice corporel.

Souhaitant vérifier la véracité des allégations de son client, l’assurance en responsabilité civile d’Elvir M. engage alors un cabinet de détectives privés.

Ainsi, des surveillances sont réalisées pendant plusieurs jours et les enquêteurs privés constatent que l’assuré peut « sans grandes difficultés, porter des charges, faire ses achats, passer l’aspirateur ainsi que nettoyer et astiquer sa voiture. »

Sur la base du rapport d’enquête du cabinet d’investigation, le requérant perd ses deux procès en raison « d’affirmations contradictoires, peu vraisemblables et insuffisantes ».

Le 15 mai 2007, Elvir M. et son épouse, qui apparaît sur six photographies, intentent alors un nouveau procès pour contester le rapport d’enquête du cabinet de détectives privés en raison d’une atteinte à leur personnalité, conformément au droit Suisse.

Le Tribunal cantonal de Zoug puis le Tribunal supérieur (Obergericht) du Canton de Zoug ne donnent pas suite à leur requête.

De la même manière, la Cour suprême suisse rejette le recours en matière civile par arrêt n° 5A_57/2011 du 2 juillet 2011, car même si :

« les prises de vues pouvaient porter atteinte non seulement au droit du requérant à sa propre image mais également à son droit au respect de sa vie privée », ces atteintes étaient « justifiées par un intérêt prépondérant ». (…)

« Une atteinte à la personnalité découlant d’une surveillance de la personne assurée par un détective privé peut répondre à des intérêts prépondérants d’ordre public ou privé ». (…)

« L’intérêt à lutter efficacement contre les abus ainsi qu’à démasquer et à prévenir l’escroquerie à l’assurance doit être comparé à l’intérêt du lésé à l’intégralité de sa personne. » (…)

« Les moyens de surveillance engagés (rapports, photographies et films) peuvent être qualifiés de nécessaires et d’appropriés »

Aussi, après leurs multiples échecs judiciaires en Suisse, les requérants se tournent vers la CEDH afin de faire invalider le rapport d’enquête du détective.

Sur le fondement de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, les plaignants estiment que les détectives privés ont porter atteinte à leur vie privée durant leurs quatre jours de surveillance.

 

ARGUMENTATION JURIDIQUE DE LA CEDH SUR L’ATTEINTE À LA VIE PRIVÉE PAR LES DÉTECTIVES PRIVÉS.

 

Dans sa décision du 17 janvier 2019, la CEDH relève que, dans le but de défendre « l’intérêt de l’ensemble de la collectivité des assurés », la compagnie d’assurance est obligée de contrôler la demande en réparation de l’assuré.

En conséquence, l’assureur peut solliciter un détective privé pour réaliser des surveillances et filatures à partir de la voie publique et « limitées à la constatation de la mobilité du requérant. »

L’intervention de l’enquêteur de droit privé visant « uniquement à préserver les droits patrimoniaux de l’assurance », « l’atteinte à la personnalité » des requérants n’est « pas illicite ».

Ainsi, « la Cour ne constate aucune apparence de violation de l’article 8 de la Convention. »

 

PREUVE, DÉTECTIVE PRIVÉ ET ATTEINTE À LA VIE PRIVÉE.

 

Relevons que la jurisprudence de la CEDH en matière de droit de la preuve est constanteet que les droits nationaux en Europe s’accordent tous sur ces trois principes fondamentaux de légitimité, de loyauté et de proportionnalité.

En France, les articles 6 §1 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme (CESDH) et 9 du Code de procédure civile régissent principalement le droit de la preuve.

Ainsi, en matière civile, un mode de preuve ne peut être admis que s’il est licite et s’il a été obtenu loyalement.

Aussi, la notion de proportionnalité est également fondamentale afin de respecter la vie privée des personnes [1].

Et, si les investigations du détective privé sont légitimes, loyales et proportionnées au but recherché, alors elles sont licites et il n’y a pas d’atteinte à la vie privée.

NB : l’article L621-1 du Code de la sécurité intérieure précise que la profession d’enquêteur privé consiste à « recueillir, même sans faire état de sa qualité ni révéler l’objet de sa mission, des informations ou renseignements destinés à des tiers, en vue de la défense de leurs intérêts. »

Antoine SENEX, détective privé

SENEX - Cabinet de détectives privés